En 2016, la dématérialisation complète de prestations sociales majeures gérées par des opérateurs sociaux tels que les Caisses d’Allocations Familiales ou Pôle Emploi marque un tournant dans la vie numérique des français. La stratégie du « tout internet » s’instaure en France, et l’usage régulier d’internet devient une obligation pour accéder à ses droits.
Si pour une majorité d’entre nous, la dématérialisation des services publics rime souvent avec simplification, un français sur cinq déclare que l’utilisation des services internet pose des problèmes majeurs.
Parmi ce public en difficulté, cinq millions de nos concitoyens, cumulant fragilité numérique et fragilité sociale, sont isolés face à cette exigence numérique. Ils se retrouvent exposés, dès aujourd’hui, à un risque rapide d’exclusion.
Ces personnes en détresse affluent aujourd’hui vers les guichets d’aide sociale afin de trouver un soutien pour s’inscrire ou actualiser leurs droits. Dans les Cafs et les agences Pôle Emploi débordées, les préavis de grève et les fermetures inopinées liées à l’afflux incontrôlable de visiteurs se multiplient sur tout le territoire. On retrouve également ces personnes chez les professionnels de l’action sociale qui subissent de plein fouet la dématérialisation totale de services de première nécessité. L’étude, présentée dans cette édition des Cahiers, conduite par Emmaüs Connect auprès des professionnels de l’action sociale, démontre que 75% des travailleurs sociaux se retrouvent à faire régulièrement les démarches « à la place de » alors que seulement 10% d’entre eux se considèrent formés à le faire.
S’il existe de nombreuses initiatives d’aide à l’autonomie numérique, clairsemées sur les territoires, celles-ci sont sans commune mesure avec la masse des personnes concernées par la précarité numérique et potentiellement en rupture de droits.
Alors que le budget du plan Très Haut Débit s’élève à vingt milliards d’euros, et que les infrastructures numériques sont, à juste titre, perçues comme un investissement clé de notre compétitivité, on peut s’étonner de l’absence d’un programme national ambitieux destiné à développer les capacités numériques de tous les français.
Il nous semble nécessaire de marteler encore que le numérique est un accélérateur unique de parcours d’insertion socio-professionnelle mais aussi une source de création de richesses y compris pour les publics fragiles. Pour eux, l’autonomie numérique s’impose comme un investissement judicieux.
A l’heure de la loi sur le numérique, nous ne pouvons nous résigner à défendre l’idée d’une république numérique égalitaire, innovante et facteur de développement pour tous.
Nous espérons que la lecture de ce nouveau numéro des Cahiers Connexions Solidaires vous invitera à prendre la mesure de cet enjeu et à nous rejoindre dans la construction d’une initiative en faveur de l’accompagnement au numérique des publics fragiles – ils en ont grandement besoin.
Jean Deydier _
Directeur d’Emmaüs Connect et Fondateur de WeTechCare