En 2010, il y a presque 10 ans, Eric Schmidt alors PDG de Google, faisait cette hypothèse :
“L’humanité crée aujourd’hui plus de données en deux jours que dans l’ensemble de son histoire jusqu’à l’année 2003”
Les mots clés que vous tapez, les vidéos que vous regardez, les emails que vous envoyez, les contenus que vous partagez sont autant de sources d’information sur qui vous êtes et ce que vous aimez. Le fameux patron de Google de 2001 à 2011, connu pour ses phrases explosives, avait déjà annoncé en 2010, de manière prophétique :
« Dans un futur proche, vous n’oublierez plus rien, car l’ordinateur se rappellera. Vous ne serez jamais perdu ».
Alors … faut-il en rêver ? Ou, au contraire, faut-il vite fuir cette datacratie* ?
Le règlement général sur la protection des données (RGPD) est entré en vigueur il y a près d’1 an, il est peut être temps d’interroger le pouvoir que confèrent ces datas à ceux qui les détiennent, pour le meilleur ou pour le pire.
Petit Poucet du Big Data
En une seule minute, 3.8 millions de requêtes Google sont enregistrées, 41 millions de messages WhatsApp et Facebook Messenger traités et 1.5 million de titres écoutés sur Spotify.
Notre société vit au rythme de la data.
Les données sont partout : sans toujours nous en apercevoir, du matin au soir, via nos smartphones, ordinateurs et objets connectés, lors de nos recherches sur Internet, lors de nos achats comme de nos démarches en ligne…
Nos banques, nos opérateurs de télécoms, tout comme les organismes de santé, nos assurances … tous collectent énormément de données sur nous : bienvenue dans le big data !
VOS DATAS, VOTRE ADN NUMÉRIQUE
Lors de son émission du 12 avril dernier, Envoyé Spécial s’est penché sur le réseau social superstar : Facebook. Le Docteur Kosinski, spécialiste en psychologie, étudie l’humain à travers son empreinte digitale. Il a mis en évidence la technique utilisée par Cambridge Analytica pour constituer les profils précis de 87 millions de personnes.
De manière beaucoup plus parlante, il a déterminé qu’avec l’analyse de 10 de vos likes, l’algorithme vous connaît mieux que vos collègues; avec 100 likes, mieux que votre famille; et avec 230 likes, mieux que votre conjoint(e)…
Étant donné la masse d’informations que nous parsemons derrière nous sur internet, le Dr Kosisnki en conclut que :
« les ordinateurs nous connaissent bien mieux que les membres de nos familles ».
Angoissant non ?
Données : le pétrole du 21e siècle ?
“La data est le pétrole du 21e siècle. Il existe un marché de la donnée brute, qui est déjà colossal, mais il faut aussi imaginer celui de la donnée transformée.” Jean-Marc Petit, professeur à l’INSA Lyon
La métaphore de nos données comme “le nouveau pétrole” tient au fait que celles-ci, dispersées sur la sphère virtuelle sont de la matière première qu’il faut collecter, analyser et transformer. A l’image du raffinage du pétrole, la question de la collecte et la transformation éthique et responsable de la matière se pose, par ailleurs. Les fondateurs du moteur de recherche alternatif Qwant affirment ainsi que :
« l’exploitation irraisonnée de la donnée personnelle est désormais comprise par les consommateurs et les pouvoirs publics comme une source de pollution sociale qu’il faudra inverser, au même titre que l’émission déraisonnée de carbone a donné lieu sur le tard à un sursaut écologiste devenu incontournable. »
La comparaison avec l’or noir se poursuit d’un point de vue économique. Les données alimentent une nouvelle économie, d’abord dominée par les géants du web dits GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple), qui s’ouvre désormais à toutes les entreprises.
Mais l’analogie avec le pétrole s’arrête sans doute là : en effet, la donnée est une ressource abondante qui semble inépuisable et les techniques d’exploitation en phase d’être accessibles à tous.
Data For Good, la donnée qui sauve
Et si cette ressource infinie, utilisée à bon escient, était une formidable opportunité pour l’intérêt général ? Et si, grâce à vos données, vous pouviez changer le monde ? Imaginez que les données puissent aider à trouver des remèdes contre des maladies rares, à prédire des catastrophes naturelles, à améliorer le service public, à réduire le chômage …. un nouveau champ des possibles pour la communauté dataforgood .
Faire avancer la recherche médicale
On assiste ainsi dans le domaine de la santé à un formidable gisement d’innovations permises grâce à l’ouverture des données et à l’émergence d’un modèle “alternatif” de recherche scientifique.
Citons, par exemple Epidemium, un programme d’open science, qui fait avancer la recherche sur le cancer grâce à l’open big data, l’implication de la communauté et la transversalité des disciplines. Bien exploitées et traitées, ces données sont une mine d’or et d’informations pour la santé publique et la recherche médicale. Elles permettent notamment de vérifier l’efficacité des traitements, mieux prévenir les maladies, prévenir les épidémies, faire avancer la recherche pharmaceutique et médicale.
Prévenir les famines
La science des données conduit aussi à améliorer la lutte contre l’insécurité alimentaire. L‘initiative de la Banque mondiale, des Nations unies et du comité international de la Croix-Rouge est intéressante. En faisant appel aux services de géants du web (Amazon, Microsoft et Google), ils lancent le projet FAM “Famine Action Mechanism” : un système qui, grâce au pouvoir des données (et de l’I.A) fournira les premiers signaux d’alerte identifiant les crises alimentaires susceptibles de muer en véritables famines. Cela permettra de déclencher, à grande échelle, des programmes de financement destinés à une intervention rapide.
Lutter contre l’échec scolaire
En matière d’éducation et de lutte contre l’échec scolaire les opportunités fournies par l’intelligence artificielle sont là aussi énormes. Les algorithmes permettent ainsi de pousser la personnalisation de l’apprentissage à distance (type Mooc par exemple) et de prédire quels apprenants risquent de rencontrer des difficultés, d’analyser quels points d’un programme scolaire posent problème aux étudiants.
Personnaliser l’apprentissage
Grâce au learning analytics (exploitation de différentes données collectées sur l’apprenant : données d’identité, interactions avec les autres apprenants, résultats aux différentes évaluations… et analyse de leur comportement pendant le parcours de formation : interactions avec l’interface de la plateforme d’apprentissage), on est en mesure de comprendre et optimiser le parcours d’un apprenant (étudiant, stagiaire …). Les datas et algorithmes permettent de pousser la personnalisation de l’apprentissage à distance, voire de susciter des apprentissages.
Villes intelligentes
Des progrès sont aussi présents en matière d’urbanisme, de mobilité pour une politique de la ville durable. La data (et son analyse) permet par exemple de mesurer les flux de population d’une ville pour en optimiser l’éclairage et ainsi en réduire la consommation énergétique, les flux de transports en incitant à conduire de façon plus fluide et moins polluante, en informant les conducteurs de leur impact environnemental (et le comparer à leurs pairs) ….
Citons l’exemple, quelque peu extrême de Fujisawa, sortie entièrement de terre par le géant japonais Panasonic. Cette ville nouvelle de 3000 habitants, utilise 60% d’énergies renouvelables, on y circule en voitures électriques, mais ce sont des véhicules qu’on se partage. Pour ne pas gaspiller, des capteurs gèrent le chauffage et l’électricité. C’est aussi une ville qu’on dit très sûre grâce à un système de vidéosurveillance qui contrôle tout ce qui se passe. Et en cas de typhon, tous les habitants sont prévenus par des messages d’alerte qui s’affichent sur leurs écrans de télé ou sur leurs smartphones.
ET DEMAIN, QUELLE (R)ÉVOLUTION ?
En 2018, l’entrée en vigueur du RGPD dans l’Union européenne, a constitué un premier pas vers davantage de transparence dans l’utilisation de nos datas, de ce qui s’apparente à une lecture quasi permanente de notre corps et de notre esprit.
Car l’individu souhaite reprendre le contrôle de ses données, mais aussi de sa vie, de ses émotions …
Peut-on espérer reprendre le pouvoir ? Nos datas peuvent-elle changer le monde ? L’avenir devrait nous le dire bientôt, point de prédictif avec les datas dans cet article
En résumé, les datas : GoodTech ou BadTech ?
Notre point de vue : La technologie n’est ni bonne ni mauvaise. Seuls les usages que nous en faisons feront la différence.
So let’s Tech Care !
Black Mirror,
Le big data, un terrain de jeu idéal pour les scénaristes de la techno-apocalypse
Sujet inquiétant, largement traité par la série : celui lié aux traces numériques que nous laissons, qui alimentent les datas et donc le système lui-même.
Des traces qui peuvent ici aller jusqu’à avoir le pouvoir de “libérer” l’homme de contraintes immuables, comme la maladie ou la mort!
L’épisode Be Right Back (Saison 2 Episode 1) révèle ce nouveau service qui propose de créer un double numérique de la personne disparue à partir de ses conversations, photos, vidéos, historiques, expériences, likes et ami(e)s.
Dans l’épisode Hang the DJ (Saison 4 Episode 4), ces mêmes traces conduisent, grâce à un processus de test et codifications extrêmes, à une nouvelle génération d’applis-coachs de rencontres dans lesquelles … le temps de relation est défini au départ. Information pouvant être révélée simultanément aux deux intéressés, “sans risque” … ou à un seul (au plus curieux ou à celui qui souhaite reprendre le contrôle ?) qui assiste alors, impuissant, au nouveau calcul de la période de “matching”.
Prolifération des dispositifs de tracking, facteurs de stress, déstabilisations, pertes de repères : L’épisode The Entire History of You (S1E3) met en avant une puce “greffon” permettant d’enregistrer chaque seconde de sa vie et d’en revoir n’importe quel moment en un clin d’oeil.
Surveillance privée, sur-protection aux effets pervers, absence de vie intime, de confidentialité : L’épisode Arkangel (S4E2) montre une mère s’inquiétant pour la sécurité de son enfant, qui décide de lui faire implanter un dispositif de surveillance lui permettant de voir en temps réel à travers ses yeux.
Hacking de sa vie privée et cyberharcèlement avec l’épisode Shut Up and Dance (S3E3) qui pointe les dérives d’un jeu pervers de manipulés et de maîtres-chanteurs..
Menace des libertés individuelles : L’épisode spécial Noël White Christmas de 2014 où chacun peut “bloquer” des personnes dans la vraie vie comme on peut filtrer le contenu de publicités intempestives sur le web avec un adblocker est particulièrement inquiétant.
Quand la réalité rejoint la fiction : la Chine a mis en place un système de notation de ses habitants proche de celui imaginé par les scénaristes de Black Mirror dans l’épisode Nosedive. Découvrez le reportage Brut pour France Info à ce sujet.
*datacratie : expression tirée du livre La datacratie de Benjamin Bayart, Alexis Brézet, Dominique Cardon, Jeremy Corbyn, Agnès de Cornulier, Jean Deydier, Alexandre Eyriès, Benjamin Ferran, Fabien Granjon, Antonin Guyader, Jayson Harsin, Henri Isaac, Jean-Marc Manach, Benoît Thieulin